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Que ne fuis -je la fougère !
Uand îe fier Baron cTE-
tanges
Quitta le pays de Vand .,
Pour conduire fa phalange
Contre les Impériaux ,
Sa fille , encore innocente ,
N'avoit pas fenti fon cœur ;
Mais la Baronne imorudente
Lui fournit un Précepteur.
A 2
(4)
C'ÈTOIT un fort joli Suiffe ;
Philofophe de vingt ans ,
Qui donnoit à fa novice
Tous les premiers éléments
De morale & de phyfique :
Il raifonnoit favamment ;
Cependant l'amour le pique ;
De maître il devient amant.
X
I L mit bientôt en ufas;e
Langueur & foins emprefles ,
Fins regards & doux langage ,
Soupirs à demi pouffes :
Tout démontroit à Julie
Qu'un maître fi dangereux
Aimoit fa philofophie
Moins que l'éclat de (es yeux.
Quoiqu'il eût fort bonne mine 9
Né fans fortune & fans nom y
Il n'étoit pas d'origine
Pour la fille d'un Baron ;
Mais (es talents & ion âge ,
Son efprit & fon maintien ,
Son air doux, difcret & fage
Réparoient naiffance & bien.
(0
Il parut donc à Julie
Digne des plus beaux liens :
La fcience fut bannie
De leurs fecrets entretiens ;
On n'y parla que tendreffe ,
Que de confiance & de foi ;
Et Famour pur fans foiblefle
A la vertu fit la loi.
S E voir , s'aimer , fe le dire
Ne fut pas affez pour eux ;
Il falloit encor s'écrire
Mille ferments amoureux :
Leurs billets étoient û tendres
Et ii pleins de pafiîon ,
Qu'on ne favoit les entendît
Sans être en émotion.
Assuré de fa conquête y
Le fage vivoit content :
L'amour lui tournoit la tête
Sans le rendre entreprenant ;
Mais Julie , en fille honnête 9
Qui (ent que fa qualité
Le rend timide & l'arrête ,
En agit avec bonté.
A 3-
(6)
LOIN de faire la farouche ,
Ou parler beaux fentiments ,
Elle imprime fur fa bouche
Le baifer le plus ardent.
Le fignal de la vi&oîre
Fut donné dans un bofquet ;
Il mit le comble à la gloire
De lamant le plus parfait.
Malgré lardeur de fa ilame
Et l'excès de (es tranfports y
Elle fentit dans fon ame
Les plus terribles remords;
Une confine charmante *
Vrai tréfor en amitié
Fut fa chère confidente;
La confine en eut pitié.
Claire étoit trop raifonnablô
Pour prêcher hors de faifon :
Elle plaignit la coupable ,
Et rappeîla fa raifon ,
Lui difant : enfin, ma chère,
Vous avez fait un faux pas ;
Vous n'êtes pas la première ,
Bien d'autres font dans le cas* .
(7)
Votre ame eft toujours la même,
Grande & penfant noblement ;
Si FAmour , ce dieu fuprême ,
Lui caufe un égarement ,
Votre repentir fîncere
Eft un effort généreux ;
La chair eft foible & légère f
Mais le cœur eft vertueux.
Vous favez que votre père
S'en revient inceftamment :
S'il découvre le myftere ,
Je frémis pour votre amant.
Une pafîion naiflante
Se cache mal-aifément ;
Mandez-lui donc qu'il s'abfente
Pour quelque temps feulement.
Malgré Tordre de fa belle,.
Il ne vouloit point partir ;
Plutôt que s'éloigner d'elle ,
Il confentoit de mourir.
Claire, fut lui faire inftance ;
Il faifoit compaffion :
Enfin , par obéiffanee ,
Il s'embarqua pour Sion.
A 4
(8)
O ! vous témoins de (es peines ,
Triftes rochers du Valais ,
Sombres bois , arides plaines ,
Vous n'entendîtes jamais
Des regrets plus déplorables ,
Des fcupirs & des fangîots y
Des plaintes fi lamentables %
Répétés par vos échos.
î L ne ceiïbit de relire
Les lettres qu'il recevoit ;
Pour foulager fon martyre y
Mille fois il les baifoit.
On lui manda que le père
Âvoit ramené chez lui ,
A ion retour de la guerre >
Un honnête & digne ami»
Cet homme et oit de Ruffie y
Et de très-grande maifon :
Il avoit fauve la vie
Jadis à notre Baron ,
Qui vouloit , pour récompenfe
D\in fecours fi généreux ,
Avec lui faire alliance.
Il ne pouvoit faire mieux.
(9)
¥OLMART ayant vu Julie >
Dit au Baron , je la prends
A mon retour de Ruffie ,
Où je vais pour quelque temps.
Cher ami, je vous la donne ;
Partez vite , embraffez-moi.
Tous deux pour une couronne
Nauroient pas trahi leur foi^
En parlant un jour de (cience y
D'Etanges fut bien furpris
De trouver qu'en fon abfence
Sa fille en eût tant appris.
Il défira de connoître
Ce Philofophe fameux :
On le vit bientôt paroître *
Et toujours plus amoureux.
Avec quelle ardeur extrême
L'amour le fait revenir !
A la moitié de lui-même
Il fembîe qu'il vient s'unir.
Le cœur de notre Julie
Avoit même empreflement :
C'eft l'excès qui juftifie
L amoureux égarement.
(10)
Pendant la cruelle abfence
Notre fage avoit trouvé
Un Milord de conféquence ,
Qui le fitivit à Verray.
Il le mené chez Julie :
L'Anglais devint amoureux ;
L'amour & la jaloufie
Les broHUerent tous les deux.
Edouard joignoit à la force
Et l'adreffe & la valeur ;
Heiireufement qu'une entorce
Anéantit fa fureur.
Auffi-tôt le combat ceffe ,
Mais pour mieux recommencer;
Ils en firent la promeffe
Avant que fe féparer.
Julie eft bientôt infiruite
De cette férocité ;
De frayeur fon cœur palpite y
Son ame eu fans faculté.
De l'amant qu'elle idolâtre
On peut abréger les jours.
Pour l'empêcher de fe battre »
Elle écrit un beau difcours*
(Il)
POUR raffurer fa tendreffe
Cela ne fuffifoit pas :
A Milord elle s'adrefle,
Afin d arrêter fon bras ;
De l'excès de fa foibîelTe
Fait part à cet inconnu ,
Lui déclare fa groffefTe.
Quel affaut pour fa vertu !
Pénétré jufques à famé
D'être pris pour confident,
Pour eux Famitié s'enflame ;
Il va trouver promptement
Un rival fi refpedable ,
Lui fait réparation.
Midi fonne, on fert fur table
Un gros poulet fans façon.
Quand te jus de la bouteille
Eut échauffé fa raifon ,
Efpérant faire merveille ,
Milord fut chez le Baron ,
Vanter leur flame amoureufe %
Préparer le doux lien ,
Et d'une ame généreufe
Offrir moitié de fon bien*
00
Le iîer Baron en colère
De la proposition ,
Dit que fon ame eft trop fîere
Pour prendre un homme fans nom,
L'Anglais , qui brûîcit de rage ,
Répond : un cœur vertueux ,
La probité , le courage
Valent bien tous vos aïeux*
I L s s'alloient mettre en furie ;
La Baronne vint nu bruit.
Milord quitta îa partie ,
Fâché d'en avoir tant dît»
Le Baron brufqtia fa fille ;
Même on dit qu'il îa roiTa r
Et que , d'un pied trop agile y
Par malheur il la bleffa*
Apres cette catafirophe
Il fallut encor partir :
La douleur du Philofophe
Ne favoit fe définir.
Edouard malgré lui l'entraîne ;
Dans un défefpoir affreux
A Paris en pofle le mené.
Il prit le nom de Saint Preux*
03)
S I Milord , par imprudence ,
Lui caufoit de noirs chagrins ,
Pour adoucir fa foufFrance ,
II employoit tous (es foins ;
Le confoloit de Fabfence ,
Àmufoit fa paffion ,
Fourniffoit à la dépenfe ,
Même avec profulion.
L A malheureufe Julie
Pleure le jour & la nuit ;
Elle eft encore attendrie
'De la perte de fon fruit.
Saint Preux décrit fon voyage >
Médit des femmes de bien >
Mande fon libertinage.
Cet amant ne cachoit rien.
En cet état de mifere
Julie , en proie aux douleurs %
Voit mourir fa bonne mère
De-foibleffe & de langueur.
Enfin Claire la confole :
Suèroit de calamité ,
Une petite vérole
La met à l'extrémité.
(M)
Claire , qui perdit la tête.
En inftruit vite Saint Preux.
A ce coup rien ne l'arrête ;
Il arrive en furieux ;
Vint voir fa digne maîtrefle.
Claire en tremblant l'introduit ;
Il baife fa main , la prefle ,
Suce le mal , & s'enfuit.
Cette afFreufe maladie
Dans le chemin l'arrêta.
Bien plutôt que fa Julie ,
Sans fecours il s'en tira.
Une telle expérience ,
Faite fans précaution ,
Nous prouve bien l'excellence
De l'inoculation.
Qui n'auroit été fenfible
A cette preuve d'amour ?
Le cœur le moins fufceptible
Se fut donné fans retour.
Auffi la convaîefcente
Ecrivit au doux ami
Qu'elle en étoit trop contente
Pour prendre un autre mari.
(If)
VOLMART revient de Ruffie,
Le Baron veut en finir ;
Il ordonne , il jure , il prie ;
Il ne peut rien obtenir.
Sa fille lui dk , mon père ,
J ai pris un engagement ;
Je ne puis vous fatisfaire
Sans confulter mon amant.
Elle écrit avec tendrefle ;
Le Baron avec hauteur.
Saint Preux , malgré fa trifteffe ,
Toujours guidé par l'honneur ,
Lui renvoya fa promeffe ,
Préférant, en digne amant,
Le bonheur de fa maîtreffe
A tout autre fentiment.
Volmart époufe Julie.
Elle voit clair dans fon cœur ;
De Famoureufe folie
Condamne la douce erreur ;
D'un fermon fur l'adultère
Régale fon cher amant.
Contre fa douleur amere
Le joli médicament !
(i6)
ï L pleure , il fe défefpere >
N'écoute plus fa raifon ;
Il détefte la lumière ,
Veut avaler du poifon.
Milord fenfément le gronde*
Enfin le pauvre garçon
Entreprend le tour du monde
Avec l'Amiral Anfon.
Pendant ce fameux voyage >
Wolmart , avec fa moitié ,
Conduifoit bien fon ménage ?
Vivoit en bonne amitié.
Il gagne fa confiance
Aifément par fa douceur ;
Elle lui fit confidence
Des foiblefTes de fon cœur.
^i
Il favoit de cette affaire
Jufqu'au moindre événement ;
L'aveu , loin de lui déplaire 3
Le mit dans l'enchantement.
11 trouvoit un caraûere
Sans diffimulation :
Le paffé ne troubloit guère
Son imagination.
Saint
(17)
Saint Preux fut maintes années
Errant d'états en états ;
Le Maître des deftinées
Le ramené en ces climats ,
Toujours conftant & fidèle*
Il annonce fon retour :
Claire en reçoit la nouvelle
Et la met bientôt au jour,
Volmart écrit tout de fuite
À cet amant malheureux ;
Il le conjure , il Fin vite
A venir vivre avec eux.
Un cœur digne de Julie ,
Dit-il, eft né vertueux;
Et fi l'amitié nous lie ,
Je me trouve trop heureux*.
C E que cet époux propofe
Lui paroît bien étonnant :
Son cœur décida la chofe j
Il partit incontinent.
D'amitié & de politefle
On le comble en arrivant;
Tout TembrafTe & le carefle £
Jufqu aux deux petits enfants .
R
V-
(i8)
Vous aurez ma confiance 1
Dit le mari complaifant ,
En vivant en ma préfence
Comme fi j'étois abfent.
Je connois trop bien ma femme
Pour être jamais inquiet ;
La vertu règne en fon ame ;
Je ne crains plus le bofquet*
Ils paffoient dans cet afyle
Des moments délicieux ;
Ils croy oient leurs cœurs tranquilles y
L'amitié couvrok leurs feux;
Mais la gaze étoit fi claire
Qu'un fimpîe mot , un foupir
Les ramenoit à Cythere ,
Et réveilloit le défir.
Julie étoit mécontente
De fentir des mouvements
Que fa vertu gémiffante
Réprimoit à tous moments*:
Paffer ainfi fa jeuneffe
A lutter contre l'amour ,.
C'eft expofer fa fagefle
A fuccomber un beau jour,
09)
Le foin de fon domeftique
Fort fouvent la diilîpoit ;
Toute la maifori ruftique
Dans fa tête réfidoit.
Elle étoit très-bonne mère 9
Poffédoit mille talents ,
Vigilante ,. ménagère ,
Charitable aux pauvres gens*
En allant en Italie
Edouard le vint vifiter,
La douceur de cette vie
Ne pui long-temps Farrêter*
Et bientôt le galant homme 9
Content de le voir heureux *
A fon voyage de Rome
Emmena Fami Saint Preux.
Ils alloient dans FEÎifée
Raifonner , pafîer le temps ;
Us jouoient dans la foirée
Des petits jeux innocents.
Ils étoient long-temps à table ?
Paffoient pour être gourmands ,
Et danfoient d un air affable
Le dimanche avec leurs gens.
B %,
(20)
XJ n rêve lui repréfente
L'objet le plus effrayant :
Il voit Julie expirante ,
Le teint pâle , l'œil mourant.
Malgré toute fa prudence ,
Ce fonge l'épouvanta ;
Et Milord , par complaifance >
Sur (es pas le ramena»
APPUYÉ contre une grille y
Il écoutoit triftement ;
Il entend que Ton babille :
C'étoit elle juftement.
Soudain fon trouble s'appaife %
L'Anglais rit d'un air malin >
Chacun regagne fa chaife >
Et fe remet en chemin*
Edouard penfoit for les fonges
Comme fait tout efprit fort :
Il les traitoit de menfonges.
Cette fois il avoit tort :
Un billet en Italie
Arrivé trop promptement ,
Leur annonce que Julie
Touche à fon dernier infiant.
(21)
L'accident le plus terrible
La conduifoit au tombeau.
Cette mère trop fenfible
Voit fon fils tomber dans Feau ;
Elle y faute avec courage y
Sans balancer un inftant :
La nature n'envifage
Que le péril de l'enfant»
Le mari furie rivage
Pouffe des cris douloureux*
Les habitants du village
Les retirèrent tous deux ;
Mais la maïheureufe mère
Etoit alors dans le cas
Où la peur la plus légère
Caufe aux femmes le trépas»
L A Faculté raffembîée
Trouve l'état dangereux.
Bien loin d'en être troublée »
Elle n'en parle que mieux
Au Miniftre , à l'agonie
Tient les plus fermes propos ;
Enfin quitte cette vie
Comme auroit fait ua héros.
Claire, qui fe défefpere
Seroit morte en gémiffant ;
Mais il faut fervir de mère
A ces deux petits enfants.
L'époux renferme en fon ame
Le chagrin le plus affreux ;
Et de la mort de fa femme
Fait le détail à Saint Preux*
C'est ici que fe termine
Un roman fi dangereux.
Rouffeau veut que Ton devine
Ce que devint l'amoureux :
Pour moi je crois néceffaire
Qu'il meure fubitement ,
Et qu'au livre on devroit faire
Un femblable traitement,
F J N.
b*\:
*
a